Un retour inespéré
En cette période morose, voici une bonne, voire une excellente nouvelle ! Enfin !
Ce n’est pas tous les jours que nous pouvons nous réjouir d’une information positive. Et bien, permettez-moi dans cette chronique, de relever une brève passée quasiment inaperçue dans le contexte actuel. Je veux parler du retour inespéré du Figolu !
Il ne s’agit pas d’un personnage sorti de l’imaginaire provençal de Pagnol.
Mais cela aurait pu !
Il ne s’agit pas d’un nouveau médicament pour guérir je ne sais quel bobo.
Mais cela aurait pu !
Sans faire trop de publicité à la marque, il s’agit d’un biscuit fourré à la figue. Créé en 1961, il a disparu des rayons en 2015 pour être remplacé par un biscuit plus volumineux, plus pâteux. Les critiques pleuvent. Le goût et la texture diffèrent. Inadmissible pour un grand nombre de consommateurs, habitués à leur biscuit préféré.
Je dois vous avouer que le Figolu m’a très longuement accompagné lors de mes voyages en train. Peu onéreux, facile à transporter, petit en taille mais suffisamment consistant pour vous permettre, avec une petite bouteille d’eau, de tenir 5h de voyage. La farine de blé et la pâte de figues callent pour de longues heures les estomacs les plus affamés. Le sucre apporte l’énergie nécessaire. D’ailleurs, tous les kiosques ou les boutiques de journaux dans les gares proposaient ce paquet de 16 Figolus.
La disparition de ce biscuit en 2015 a donc généré la frustration de milliers de consommateurs. Au point que certains ont lancé une pétition pour le retour du Figolu[1]. Vous avez bien entendu : une pétition ! Mais, échec ! Pas assez de mobilisation. Une seconde pétition est lancée en 2019, soutenue cette fois-ci, par de nombreux titres de presse et un #rendeznouslesfigolus. Elle obtient plus de dix mille signataires. Et là, victoire ! En avril 2020, la société commercialisant le biscuit annonce la reprise de la production sur la base de l’ancienne et authentique recette. C’est le retour du Figolu.
Prenant beaucoup moins souvent le train qu’auparavant, je soulagerai donc mon estomac et veillerai sur mon poids en diminuant ma consommation.
Au-delà de l’anecdote, cocasse en ces temps de crise, cette information retient mon attention sur plusieurs points.
Le premier relève de l’acte citoyen ou, plus exactement, de l’acte du consommateur privé de son biscuit favori. Sa frustration le pousse à lancer une pétition. Je sais qu’en ce moment, chacun veut obtenir satisfaction sur tout et n’importe quoi en recherchant le nombre pour soutenir sa cause. Courriels, SMS, Tweet à relayer ; collecte de fonds pour tel ou tel projet ; pétitions multiples sur sites dédiés pour faire le buzz, pour faire émerger une situation voire, pour faire changer les choses à son avantage. Loin de moi l’idée de porter un jugement de valeur sur ces actions, même si certaines relèvent plus du gag voire de l’abus de faiblesse misant sur la crédulité de l’internaute. Dans tous les cas, une cause est mise en avant et certains se mobilisent pour obtenir satisfaction. D’où ma question : quelles sont mes batailles ? Pour quoi, en deux mots, suis-je prêt à m’impliquer, à m’engager, à mobiliser autour de moi ? Qu’est-ce qui m’anime ?
Le deuxième élément à relever est que la perte d’une bataille ne signifie pas automatiquement la perte de la guerre pour reprendre une citation du Général De Gaulle, dans un contexte bien différent. Ces pétitionnaires y ont cru. C’était faisable. Cette confiance dans l’avenir, la certitude de continuer les batailles au-delà des échecs par une persévérance à toute épreuve un homme l’a vécu : Abraham Lincoln. En effet, il ne connut pas moins de 2 faillites et 8 échecs électoraux. Entre autres. Pourtant il n’abandonna point et devint finalement le seizième président des Etats-Unis. Il permettra l’adoption le 18 décembre 1865 du 13ème amendement abolissant l’esclavage. Qu’en est-il de ma persévérance ? Vais-je jusqu’au bout pour ce que je crois juste ?
La troisième et dernière interpellation liée à cette pétition est presque le contrepied de la première. Il concerne la puissance des médias et principalement des médias numériques. Comme l’expriment Marc Dugain et Christophe Labbé dans leur excellent ouvrage L’homme nu, la dictature invisible du numérique[2] : « chaque minute, environ 300 000 tweets, 15 millions de SMS, 204 millions de mails sont envoyés à travers la planète et 2 millions de mots-clefs sont tapés sur le moteur de recherche Google […] Depuis 2010, l’humanité produit autant d’informations en deux jours qu’elle ne l’a fait depuis l’invention de l’écriture il y a cinq mille trois cents ans. » Finalement, tout s’échange, tout se partage, tout se cherche sur le web. Et dans ce flot, difficile de s’y retrouver. Qui dit vrai ? Comment émerger, comment sortir du lot face à la déferlante de l’information principale du moment ? Alors les fondamentalistes pointent et, avec leurs radicalismes, deviennent les valeurs sûres. Ils sont rappelés, implorés par nombres d’individus perdus. Comme pour les Figolus mais avec des conséquences bien plus fâcheuses ! Je n’irai pas plus loin mais je m’interpelle : en quoi, en qui vais-je placer ma confiance ?
L’apôtre Paul écrivait au premier siècle, dans sa deuxième lettre aux Corinthiens chapitre 3 verset 17, « là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. » Une clé pour ma vie se trouve dans cette belle phrase. Cultiver la présence de Dieu dans mon existence, dans la durée c’est-à-dire avec persévérance, produira la liberté, ma liberté. Ma bataille devient alors une lutte avec moi-même pour rester lucide et pour choisir avec raison la relation avec Dieu plutôt que l’égocentrisme voire le populisme. Une déconnexion numérique, une re-connexion spirituelle peut alors devenir nécessaire pour un rétablissement salutaire.
Permettez-moi encore de citer Marc Dugain et Christophe Labbé : « résister va devenir de plus en plus compliqué. Cela passera par l’acceptation d’une marginalisation. Une méfiance vis-à-vis du monde connecté. Une extraction du temps contracté. […] L’acte de résistance sera de remettre l’humain au centre du jeu. […] Sinon, nous vivrons tous irrémédiablement nus, avec ce faux sentiment d’émancipation que provoque la nudité. Les avantages proposés par les nouveaux maitres du monde sont trop attrayants et la perte de liberté trop diffuse pour que l’individu moderne souhaite s’y opposer, pour autant qu’il en ait les moyens. Il ne faut pas compter sur les big data pour nous rendre cette liberté. En revanche, nous pouvons leur faire confiance pour convaincre l’humanité qu’elle n’est pas essentielle. »[3]
Alors tant mieux pour mes Figolus. Ils seront à nouveau disponibles.
En revanche, je me réjouis bien plus d’un retour à cette relation transcendante avec Dieu me permettant de découvrir, de bénéficier et de profiter d’une vraie liberté. Et cette relation ne demande ni pétition, ni pression pour exister. Seulement mon désir, ma volonté et mon acceptation.
Philippe Aurouze
[1] https://www.mesopinions.com/petition/social/retour-veritables-figolu-rayons/15895
[2] DUGAIN Marc et LABBÉ Christophe, L’homme nu, la dictature invisible du numérique, Paris, Robert Laffont et Plon, 2016, p. 22
[3] Op. Cit. p. 196, 197